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Que me veux-tu, chère fleurette,
 Aimable et charmant souvenir ?
 Demi-morte et demi-coquette,
 Jusqu’à moi qui te fait venir ?

 Sous ce cachet enveloppée,
 Tu viens de faire un long chemin.
 Qu’as-tu vu ? que t’a dit la main
 Qui sur le buisson t’a coupée ?

 N’es-tu qu’une herbe desséchée
 Qui vient achever de mourir ?
 Ou ton sein, prêt à refleurir,
 Renferme-t-il une pensée ?

 Ta fleur, hélas ! a la blancheur
 De la désolante innocence ;
 Mais de la craintive espérance
 Ta feuille porte la couleur.

 As-tu pour moi quelque message ?
 Tu peux parler, je suis discret.
 Ta verdure est-elle un secret ?
 Ton parfum est-il un langage ?

 S’il en est ainsi, parle bas,
 Mystérieuse messagère ;
 S’il n’en est rien, ne réponds pas ;
 Dors sur mon cœur, fraîche et légère.

 Je connais trop bien cette main,
 Pleine de grâce et de caprice,
 Qui d’un brin de fil souple et fin
 A noué ton pâle calice.

 Cette main-là, petite fleur,
 Ni Phidias ni Praxitèle
 N’en auraient pu trouver la sœur
 Qu’en prenant Vénus pour modèle.

 Elle est blanche, elle est douce et belle,
 Franche, dit-on, et plus encore ;
 A qui saurait s’emparer d’elle
 Elle peut ouvrir un trésor.

 Mais elle est sage, elle est sévère ;
 Quelque mal pourrait m’arriver.
 Fleurette, craignons sa colère.
 Ne dis rien, laisse-moi rêver.

 - Alfred de Musset